Lettre de Shirin Ebadi à la commissaire aux droits humains de l’ONU

A Mme Louisa Arbour,
Commissaire aux droits humains de l’ONU

Du fait que récemment les droits des femmes en Iran ont été mis plus que jamais en danger, un groupe de femmes défendant les droits humains ont été condamnées à la prison pour des peines plus ou moins longues.

J’ai pris la liberté et ai ressenti le besoin de vous informer des faits les plus importants.

D’après la loi constitutionnelle, clause n° ۲۷, de la République islamique d’Iran, les rassemblements et les manifestations de personnes non armées et qui ne portent pas atteinte aux lois islamiques sont autorisées.

Pourtant, le 12 juin 2006, un groupe de femmes désemparées par leur statut discriminatoire en Iran décidèrent de se rassembler sur l’une des places de Téhéran. Dès qu’elles se retrouvèrent au point de ralliement, bien avant que les discours n’aient été prononcés ou des résolutions lues, elles furent attaquées par les forces de police.

Ce rassemblement de femmes fut donc dispersé, et un certain nombre de femmes gardé à vue pendant quelques jours.

Pendant l’assaut, quelques femmes furent blessées physiquement. 15 d’entre elles sont venues chez moi et m’ont demandé de m’occuper de leur cas devant la justice, ce que j’ai accepté : j’ai donc introduit une plainte contre le chef de la police de Téhéran et contre ceux qui avaient effectivement participé à l’assaut.

Malheureusement, les recherches nécessaires sur la partie adverse n’ont pas abouti et notre cause a été placée au point mort.

D’autre part, le procureur général de Téhéran, M. Saeed Mortazavi, a aussi enregistré une plainte contre certaines participantes du rassemblement. J’ai à nouveau accepté de défendre leur cas avec l’aide de quelques collègues.

Après un court procès, la Cour islamique révolutionnaire présenta l’argument qu’« aucune autorisation n’avait été accordée aux femmes par le ministère de l’Intérieur [pour ce rassemblement] et que par conséquent y participer était illégal et considéré par la loi comme acte contre la sécurité du pays. »

Les femmes arrêtées ont donc été condamnées au fouet et à un long emprisonnement.

Voici le nom de ces femmes et les condamnations qu’elles ont subies :

1) Aliyeh Eghdam Dust : 3 ans et 4 mois de prison + 10 coups de fouet

2) Delaram Ali : 2 ans et 10 mois de prison + 10 coups de fouet

3) Fariba Davoudi Mohajer : 4 ans de prison dont 3 ans avec sursis, avec une mise à l’épreuse de 5 ans, si elle ne participe plus à aucune action anti-discriminatoire à l’avenir. En cas contraire, elle subira une condamnation d’un an de prison.

Veuillez noter que ceci signifie que Davoudi Mohajer n’aura plus jamais le droit, un droit légal, d’entreprendre une action contre les discriminations vécues par les femmes en Iran.

4) Noushin Ahmady Khorasani : 3 ans de prison dont 2 ans et 1/2 de sursis, avec une mise à l’épreuve de 5 ans, si elle ne participe plus à aucune action anti-discriminatoire à l’avenir. En cas contraire, elle subira une condamnation de six mois de prison.

Cela signifie à nouveau qu’elle doit renoncer à défendre ses idées sur la situation des femmes en Iran.

5) Parvin Ardalan : 3 ans de prison dont 2 ans et 1/2 de sursis, avec une mise à l’épreuve de 5 ans, si elle ne participe plus à aucune action anti-discriminatoire à l’avenir. En cas contraire, elle subira une condamnation de six mois de prison.

Un autre cas de discrimination contre les femmes.

6) Shahla Entezari : 3 ans de prison dont 2 ans et 1/2 de sursis, avec une mise à l’épreuve de 5 ans, si elle ne participe plus à aucune action anti-discriminatoire à l’avenir. En cas contraire, elle subira une condamnation de six mois de prison.

Une autre violation des droits des femmes les empêchant de dénoncer les lois discriminatoires contre les femmes.

7) Sussan Tahmasebi : 2 ans de prison dont 1 an et 1/2 de sursis, avec une mise à l’épreuve de 5 ans.

Elle ne pourra plus prendre part à des actions anti-discriminatoires comme pour les cas précédents.

8) Azadeh Forghani : 2 ans de prison avec sursis et une mise à l’épreuve de 5 ans, si elle ne prend plus jamais part à une action anti-discriminatoire.

9) Bahareh Hedayad : 2 ans de prison avec sursis, et une mise à l’épreuve de 5 ans, si elle ne prend plus jamais part à une action anti-discriminatoire.

Suite aux actions entreprises par les forces de police et de sécurité envers les femmes le 12 juin 2006, une pétition a été lancée. Elle est destinée à être signée par un million de femmes et d’hommes pour montrer leur opinion sur les discriminations entre hommes et femmes dans les lois iraniennes.

Cette pétition peut être lue sur le site www.wechange.info

Comme le site a été infiltré par la République islamique d’Iran, quelques étudiant/es, des jeunes filles et des jeunes hommes, se sont porté/es volontaires pour recueillir des signatures.

Malheureusement, les forces de police et de sécurité ont de nouveau mené des actions contre eux/elles et quelques-un/es de ces volontaires ont été mis/es en garde à vue au commissariat. Une plainte est engagée contre eux/elles, suite à laquelle nous attendons une date pour un procès.

Vous serez probablement d’accord avec le fait que que condamner des femmes à la prison et au fouet parce qu’elles dénoncent la polygamie, que le prix du sang d’une femme vaut la moitié de celui d’un homme, ou que deux femmes qui témoignent au tribunal comptent autant qu’un seul homme témoin, etc… est non seulement contre les normes des droits humains, mais aussi contre les principes moraux.

Ce que ces personnes demandent, c’est simplement l’élimination de toutes discriminations envers les femmes, l’égalité entre les femmes et les hommes dans la société.

Le plus douloureux est que les condamnations citées plus haut ne seront pas uniques. En effet, certaines de mes clientes n’ont pas encore obtenu une date de procès. Mais je suis certaine que, dans un proche avenir, elles seront aussi confrontées à de dures condamnations.

Par conséquent, je vous informe de ma profonde inquiétude quant au sort de ces compagnes iraniennes dont l’offense et le crime ne consistent qu’en des paroles contre les discriminations sexuelles.

Veuillez envoyer un délégué en Iran pour inspecter la situation des femmes, notamment de celles qui ont déjà un dossier et un procès criminels.

Si son rapport s’avère correct – ce qui sera le cas -, je peux vous assurer que des actions devront et pourront être prises pour interdire les agressions contre ces femmes.

Shirin Ebadi,
Lauréate du Prix Nobel 2003,
Avocate,
Juillet 2007

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