Pourquoi, se demandait Plutarque, se voile-t-on la tête en adorant les dieux ?
C’est la question que doivent se poser aujourd’hui les 10 000 femmes au visage nu et à la chevelure apparente, verbalisées en Iran par la nouvelle police du Voile. Et d’abord les étrangères, touristes ou résidentes, musulmanes ou pas, contraintes de se voiler pour ne pas dévoiler leur différence.
Une nouveauté, puisque dans l’histoire de l’Islam, c’est le contraire qui a été en usage dès le IX° siècle. Celui de devoir distinguer un non musulman d’un musulman par sa tenue vestimentaire, une sorte de carte d’identité apparente. Le principe était jadis clair : les non musulmans pouvaient vivre en terre d’Islam, conserver leur culte et leur clergé, (à condition de ne pas faire de prosélytisme) ainsi que certaines activités professionnelles, mais établissait clairement une différence de statut social et juridique entre musulmans et non musulmans. En 807, Haroun Al-Rachid, calife des Abbassides, imposera aux Juifs et aux Chrétiens de porter des ceintures de couleur bleue ou blanche. Le port d’un chapeau jaune, des vêtements aux couleurs voyantes, généralement couverts d’une pièce d’étoffe jaune, et d’insignes, marquaient ainsi la frontière entre les Gens du Livre et le monde musulman.
Alors que s’est-il passé ? Imposer le voile à des non musulmanes en Iran indique-t-il un changement de politique religieuse ? S’agirait-il d’une plus grande tolérance en appliquant les mêmes règles à toutes ? Que pourrait justifier ce renoncement à la distinction entre musulmans et non musulmans ? Pourquoi soudain l’Iran se cache sous un voile comme on déploie un parapluie nucléaire ?
Il faut d’abord prendre en considération que le port du voile n’est pas une exclusivité de l’Islam. A Rome, Les femmes se voilaient la tête lorsqu’elles sacrifiaient aux dieux. Enée se couvrait la tête d’un voile pourpre lors de rites sacrificiels afin que nul regard de démon ou d’ennemi ne trouble sa destinée. Certains généraux romains prononçaient voilés les formules pour le salut de la République, et Paul dans son Epître aux Corinthiens intimait aux femmes de se couvrir la tête ou de se couper les cheveux. Il ne faut donc pas croire que cette police du Voile aspire à traiter les récalcitrantes, comme l’étaient les Vestales romaines, voilées de force et enterrées vivantes pour avoir rompu leur vœux de chasteté. L’issu semble être une question de survie. Surveiller le voile est l’équivalent pour un Etat islamique de surveiller ses frontières.
En fait, nos religions contemporaines et l’Islam d’abord, sont en pleine mutation. Elles résistent difficilement à la mondialisation des cultes. Une terre peut-elle aujourd’hui continuer d’appartenir exclusivement à une religion ? Et les cultures religieuses n’ayant plus de frontières, les hommes emportent avec eux leurs bagages spirituels où qu’ils aillent.
Pour survivre, certaines prônent l’adaptation, d’autres préfèrent un retour à l’archaïsme dressant des frontières spirituelles comme on édifie un rempart pour se préparer à un long siège. Car avec le déploiement d’une police du Voile en Iran, c’est bien de la territorialité de l’Islam et des religions en général qu’il est question.
Les frontières spirituelles devenant indéfinissables, la crainte de la disparition inspire naturellement les pires intégrismes.
La question primordiale de la territorialité des religions est posée. Les cultures religieuses obéissent-elles à une géographie ? Appartiennent-elles à une terre ? Et question évidente : une terre appartient-elle à une religion ? L’Europe est-elle exclusivement chrétienne par l’histoire de sa culture ou par les tracés de ses frontières ? La Grèce est-elle orthodoxe et l’Iran exclusivement musulmane ?
Les cultes jadis étaient par essence issus d’une déesse Terre, et lui vouaient une reconnaissance éternelle. Sans elle, ils ne pouvaient continuer d’exister. Les divinités étaient alors locales, attachées à leurs terres, sacrées pour les uns fatales pour les autres. Comme l’Islam, toutes les religions sont nées d’un sol, les religions égyptiennes antiques d’une terre fertilisées par le Nil, le Judaïsme du désert, le Christianisme d’une terre de Jérusalem demeurée sainte.
Attachées à un lieu, les religions subissent aujourd’hui l’épreuve de l’ouverture des frontières et de la mondialisation de l’information. Les terres saintes perdent leur sacralité, souillées par le succès des religions qu’ils ont vu naître. Mais naître, c’est ensuite grandir, changer, s’émanciper et pourquoi pas se différencier de son ascendance. Alors la Police du Voile, préfère encore la dissuasion anatomique au risque d’une mutation incontrôlable de ses lois.
Notons, d’ailleurs que la barbe étant le voile des hommes, la police iranienne ne limite pas ses efforts aux femmes puisqu’une circulaire interdit désormais aux salons de coiffure d’offrir des coupes à l’occidentale.
Aujourd’hui, en Iran, il ne s’agit pas d’islamiser la société, en obligeant les touristes à se conformer aux lois vestimentaires locale, mais d’abord de protéger la terre et d’en retracer les frontières.
Si il n’est plus question comme à Rome de porter le voile par crainte des dieux mais bien par crainte des hommes, ce repli territorial n’est qu’un des nombreux avertissements de la fin des religions telles que nous les connaissons.