La campagne « Un million de signatures pour l’abrogation des lois discriminantes envers les femmes », par Nouchine Ahmadi Khorosani

Il semble qu’une nouvelle génération de féministes ait vu le jour en Iran, un féminisme qui pourrait être qualifié de réaliste et dont les critères de définition ne dépendent pas du fait d’être ou non musulman.

Cette génération de féministes – qu’on ne peut pas nécessairement repérer par l’âge de ses sympathisant(e)s, bien que ces dernier(e)s aient moins de trente ans – pourrait être qualifiée de « féministe populaire musulmane ». Par sa nature, elle se distingue de l’islam idéologique ; par ses méthodes et ses revendications, elle se distingue de l’islam tel qu’il s’exprime au pouvoir. Ainsi, ce féminisme se différencie de celui qui puise dans l’idéologie de l’islam et ne tire pas sa légitimité du pouvoir étatique. Il ne se pose cependant pas comme opposé à l’islam et ne regarde pas cette religion comme une ennemie. En d’autres termes, il s’adapte à la réalité de l’existence de l’islam qu’il considère, sans l’avoir choisi, comme partie intégrante de son quotidien.

Pour cette génération de féministes, s’identifier à une religion, officielle ou non, ne constitue pas une condition pour collaborer avec les « autres ». Donc, être musulman(e), chrétien(ne) ou laïque, n’est pas leur identité, mais constitue un fait d’appartenance à une famille et à un pays, une partie de la réalité avec laquelle elles vivent.

Or, le « féminisme islamique » dont on parlait avant l’arrivée sur la scène de cette génération féministe, était reconnu comme étatique ou idéologique. Il tirait sa légitimité du pouvoir politique. Son mode d’action était directement influencé par les élites gouvernantes. Le compromis entre cette tendance et d’autres féminismes, porteurs d’autres idéologies, n’était donc pas possible. En revanche, dans cette campagne « Un million de signatures », la nouvelle génération de féministes n’écarte aucune catégorie sociale.

Il faut donc aujourd’hui appréhender la question de l’adaptation du féminisme à l’islam sous un nouveau jour. Il s’agit en fait dans cette campagne d’adapter le féminisme aux musulman(e)s.

Une fois, ce problème écarté, nous pouvons qualifier ce féminisme de populaire, quotidien et à l’écoute des opportunités.

En fait, nous nous rendons compte que nous ne pouvons pas fixer pour notre mouvement des objectifs préétablis : c’est au fur et à mesure que nous avancerons que seront désignés, provisoirement, méthodes d’action et objectifs. L’adoption de cette approche qui prend en considération l’apparition de nouvelles opportunités témoigne de plusieurs contraintes contradictoires : contradictions entre élitisme et populisme, entre internationalisme et localisme, entre objectifs et moyens. Nous sommes à tout moment obligées de faire un choix entre un mouvement organisé et spontané, entre la médiatisation et l’anonymat, entre des actions individuelles et collectives, entre l’action en faveur des femmes et l’action avec les femmes, c’est-à-dire sur le terrain. Nous avons été sommées de trancher pour ou contre le lobbysme, pour ou contre les activités clandestines, etc…

En dépit de toutes ces contradictions, pressions et ambiguïtés s’imposant à notre mouvement, et malgré des moments de désespoir et même de dépression, nous avons acquis une expérience dense et précieuse.

Une situation précaire et instable : une configuration unique ?

Nous avons surmonté le problème majeur de notre campagne : le conflit entre les partisan(e)s d’une dissolution dans le mouvement supra-national et celles et ceux qui veulent ancrer leurs forces avant tout au niveau local. Même si, pour une raison ou une autre, notre campagne venait à prendre fin aujourd’hui, les acquis de notre mouvement resteront intacts, non seulement pour nos camarades, mais également pour les mouvements féministes des autres pays du monde.

Depuis quelques années, avec le développement d’Internet en Iran, il y a une tendance à l’éloignement des actrices et acteurs de leurs bases sociales et même à une aliénation et ce, dans le sens d’une mondialisation. Certes, Internet offre une opportunité sans précédent pour donner à voir notre mouvement au sein des réseaux internationaux et pour imposer la question des femmes au niveau du pouvoir politique. Mais dans la mesure où cela contribue aussi à éloigner notre mouvement de sa base sociale et locale, ce succès pouvait le mettre en péril.

La facilité de l’accès aux réseaux de communication internationaux pour se présenter et obtenir des soutiens étrangers et éventuellement de l’aide financière pousse certain(e)s actrices et acteurs à profiter de l’occasion. En fait, cette facilité favorise l’entrée d’un grand nombre de personnes dans le mouvement féministe, mais elle tend aussi à transformer certain(e)s militant(e)s du mouvement en employé(e)s de bureau et cela les éloigne du mouvement social et du terrain.

En réalité, malgré l’augmentation quantitative des membres de l’ONG qui sont entré(e)s dans le mouvement féministe et qui ont renforcé la position des femmes dans la sphère du pouvoir politique, ce féminisme a pu par ailleurs affaiblir les motivations sociales des militant(e)s.

Quelle est l’origine de ce problème ?

Cette tendance ne posait pas problème en soi et pouvait même renforcer les mouvements indépendants et locaux des femmes dans le pays. Mais au fur et à mesure que cette tendance s’affirmait, le mouvement social des femmes tendait à se réduire à un projet sur papier plutôt qu’à un ensemble d’actions concrètes menées par des actrices et acteurs sociaux ayant prise sur la réalité sociale.

Ces dernières années, les groupes indépendants qui tentaient de former les actrices et acteurs sociaux n’étaient pas reconnus au niveau international, car ils ne disposaient pas des moyens de communication. Mais le mouvement des femmes du 12 juin et la présence de la nouvelle génération dans ce mouvement a permis de lui donner le statut de mouvement revendicatif et protestataire pour les droits des femmes. Ainsi, la campagne « Un million de signatures » souligne le rôle des actrices et acteurs sociaux présent(e)s sur le terrain.

Naissance d’un nouveau mouvement

Les actrices et acteurs du mouvement des femmes à l’intérieur du pays comme à l’étranger ont compris la nécessité de l’activité au niveau local et au sein du peuple.

La campagne a permis de fixer un nouvel objectif : « égalité des droits ». Pour sensibiliser le public à ce sujet, nous sommes allées là où les femmes étaient présentes. Devant l’absence de lieux publics, nous avons rassemblé les familles dans leur maison. Bref, nous avons bien montré que même sans l’aide de l’Etat ou d’instances internationales, le mouvement féministe était capable de rester debout et d’avancer. C’est pourquoi nous espérons à l’avenir être à même de travailler avec des méthodes plus efficaces et adaptées à la réalité de la situation locale et de donner à voir un modèle indépendant et harmonieux, en phase avec les instances internationales et les droits humains.

Valoriser les moyens ou les objectifs ? Comment hiérarchiser ?

Au cours de toutes ces années d’activité, j’ai toujours estimé que le chemin emprunté était plus important que la fin de mes actions. En fait, tout tient dans ce parcours, dans le chemin. Une de nos exigences ces derniers temps a été d’établir un équilibre entre les deux. Nous nous demandions où nous voulions aller. Et si au lieu de mener cette campagne en deux ans, nous la menions en sept ans ? Que se passerait-il dans ce cas ?

Nous sommes ainsi arrivées à la conclusion qu’il valait mieux prendre notre temps pour mobiliser les femmes, former des cadres pour notre mouvement, prendre contact avec les autres pays. Ces deux années auront constitué une des meilleures périodes de nos vies, elles nous ont permis de tester l’efficacité de nos méthodes, d’apprendre à travailler en groupe.

La campagne « Un million de signatures » a fait émerger une nouvelle génération de féministes conscientes de l’importance de leur rôle mobilisateur et à l’écoute du terrain.

Nouchine Ahmadi Khorosani

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